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À l'ëxtérieúr dês mürs.

 
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Guilhem
archiduc
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MessagePosté le: 22 Mai 5:17    Sujet du message: À l'ëxtérieúr dês mürs. Répondre en citant

Attila referma sur lui la porte de l’auberge, dans laquelle se poursuivait le débat sans fin entre les partisans de Dame Élo et de ses adversaires, les insultes et les coups bas se multipliant sans fin. Guilhem prit la route de l’Ouest vers la Montagne. Dans la zone neutre, qui voyait tous les jours de nouveaux pillages, de nouveaux combats, les flammes s’élevaient des fermes lointaines, ravagées par des groupes de brigands ou simplement par des brigades d’Inquisiteurs venus chasser des traîtres. Entre les terres dévastées, au moins fleurissaient quelques branches épargnées par le feu qui enfumait la plaine à chaque printemps, à chaque été, à chaque automne et à chaque hiver.

Le Béonide, malgré son abattement, hâta le pas. Il ne savait pas trop pourquoi il avait pris l’engagement de quitter ses frères et ses sœurs si jamais ceux-ci ne taisaient pas leurs rancoeurs face aux injures de certains Humains. Chose certaine, la passion des siens l’avait emporté sur ses menaces, et il avait dû, à son grand ahurissement, respecter sa propre parole.

Quitter la Montagne. Partir en exil. L’amertume étourdissait Guilhem. Non, ce n’était pas de l’amertume, mais une rancœur plus douce, qui au lieu de lui faire serrer les poings, les laissait mollement pendre de chaque côté de son corps. La tristesse. C’était donc ça.

Le Béonide marcha jusqu’au soir, jusqu’à ce qu’il parvienne sur un des versants de la Montagne, et, empruntant une galerie que de nobles ancêtres avaient creusée dans le roc, il pénétra dans le domaine des créatures de Garyth. Remontant la grotte éclairée seulement par quelques torches, il finit par aboutir dans un réseau plus étroit de couloirs naturels. Il emprunta un carrefour, buta contre une porte de bois encastrée dans la roche et l’ouvrit. De l’autre côté, sa petite caverne, pratiquement en ordre, débouchait sur les ombres du soir et sur la grande place des Barbeuks. Guilhem devait se hâter s’il voulait faire ses adieux ; il remplit sa besace de quelques précieux grimoires, de potions déjà prêtes et du peu d’or qu’il possédait. Hésitant, il empaqueta également une petite statuette sculptée dans la lave refroidie. Voilà. Les ingrédients pour ses potions, il les trouverait sur le terrain. Nouant autour de son cou sa cuiller de cristal, il sortit à la clarté (clarté relative, les ombres allongeaient de plus en plus) et alla retrouver ses compagnons sur la place centrale.

Denethor tentait d’allumer un feu pour le prochain barbeuk pendant que d’autres le regardaient faire, patients et armés de grandes pièces de viande. Guilhem se pencha et ramassa un peu de cendre. Utile pour purifier une solution. Bozzer comprit la portée de son geste.
― Pöürqúøí n'ûtìlísës- þás dê lå céñdrè þûrê dê bòìs d'îf? demanda-t-il.
Guilhem expliqua. Tous ceux qui étaient autour du feu entendirent, troublés et silencieux. Ils comprenaient. Ils avaient de l’honneur. Seul Sokaris, dans un coin, serrait les dents, en proie à une colère dont personne ne connaissait le destinataire. « Cela ne m’étonne guère », pensa Guilhem. Son ami avait toujours été, depuis qu’il le connaissait, hanté par des spectres. Il restait, malgré son départ de la Montagne et son retour, en quête d’une quête.

Sans plus attendre, le Béonide salua ses frères, dont le vieil Elrond, et se dirigea vers la falaise. Il la dévala, serrant contre lui sa besace pleine à craquer. Où irait-il maintenant ? Que serait-il ? Pourrait-il revenir ? Inutile d’espérer pour l’instant : il ne pourrait vivre avec les autres tant qu’il ne saurait comprendre ses compagnons, leur spontanéité, leur impatience, leur passion.

[hrp]: Ne pas intervenir. La suite est déjà écrite.
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Guilhem
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MessagePosté le: 22 Mai 23:28    Sujet du message: Répondre en citant

Guilhem croyait connaître ses pairs : il s’était trompé, il les avait crus trop semblables à lui, incapable de comprendre que les marginaux entre eux ne se ressemblaient pas. Voilà pourquoi il avait pris un engagement maladroit et stupide lors de la dernière querelle à l’auberge, voilà pourquoi il devait partir.
— La poussière retombera, et tu pourras revenir sans perdre la face, fit une voix dans sa besace.
Guilhem sortit du sac la petite statuette de lave. Il l’avait sentie bouger.
sûìs foù, dit-il en tournant la figurine dans tous les sens.
Il replaça l’objet. Il avait déjà entendu des roches, des arbres et même ses marmites lui adresser la parole. Il ne fit donc pas grand cas de la nouvelle hallucination, bien qu’elle ne fût pas aussi banale que les autres : car c’était la première fois qu’un objet lui parlait de lui. Avant, les choses ne l’avaient interpellé que pour se plaindre de son indélicatesse.

***

Après une nuit et une journée entières de marche, Guilhem s’arrêta devant un carrefour. Il s’appuya sur une borne et but à sa gourde. Il devait prendre maintenant sa première décision. Où irait-il ? Son cœur l’attirait irrémédiablement vers le soleil de l’après-midi, vers où soufflait le vent rempli de la pourriture des marais du nord. Il jeta un coup d’œil sur la borne.

« La mine Godefroi, au Nord, trois lieues. »
Guilhem y était déjà allé. C’était là que son maître alchimiste l’avait envoyé chercher une pierre rare ; il l’avait accidentellement laissée sur place après un accrochage avec des brigands.
« Carmélyon, à l’Est, quatre lieues. »
La route de Ragnärès. Pas question.

Guilhem essaya de déchiffrer la dernière inscription, couverte de mousse. Il put y lire, en forçant les yeux : « Au Sud, La Guilde des Alchimistes. Une lieue. » D’accord. Il pourrait y demander asile et briser temporairement sa solitude.

Le Béonide prit donc la route du Sud. Quelques heures lui suffirent pour arriver enfin en vue de l’imposant édifice.

Étrange, aucune lumière.

Car la nuit tombait déjà. Le premier jour d’exil se terminait pour Guilhem dans le silence le plus profond, un terrain propice à la folie. Autant pour s’occuper l’esprit que pour chercher un refuge convenable, le Béonide grimpa à une fenêtre, s’escrimant avec le loquet pour le faire céder. N’y tenant plus, il versa une gouttelette de potion dessus ; le métal chauffa puis fondit. Guilhem se jeta à l’intérieur des murs de la Guilde.
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MessagePosté le: 24 Mai 21:04    Sujet du message: Répondre en citant

Personne. Des lierres, un cri d’oiseau, des traces d’écureuil, de la poussière. L’alchimiste monta dans une des tours de l’édifice déserté. L’animation avait déjà été grande. Les scientifiques de partout s’y réunissaient ; les Centaures eux-mêmes n’avaient pas autrefois dédaigné la place. Guilhem savait que la Guilde avait été finalement fermée aux petits maîtres dans son genre, mais il n’avait pu imaginer que le directeur de l’établissement, le maître Tagazok, mettrait définitivement la clef dans la porte. Dépité, il s’appuya donc sur le parapet de la tour, profitant des dernières chaleurs du crépuscule. Au loin, il crut voir un petit nuage de poussière… Il sortit une longue vue de sa besace, puis fixa le petit point qui s’effaçait peu à peu dans la plaine.
Ydríll, souffla-t-il.
L’empereur déchu de la Forêt, un exilé lui aussi. Guilhem sentit le besoin d’être différent de cet ermite qui déambulait visiblement sans but dans la zone neutre ou ailleurs. Il devait faire autre chose qu’attendre que le vent tourne. Il ne voulait pas devenir affligé du même cynisme que le monarque désavoué. Plus tard, peut-être, il le rencontrerait sans doute. Mais pas maintenant.

Il commençait à faire froid. Guilhem descendit, dérangé par l’humidité sale de la nuit iksémienne. Mu comme par un automatisme, il emprunta un couloir en direction de la bibliothèque. Là, il avait fait toutes ses recherches. Là, il avait débuté sa quête de la pierre philosophale, en compagnie de deux confrères.

Il poussa les deux grandes portes de la salle et entra. Aussitôt qu’il mit le pied à l’intérieur, un mouvement attira l’attention du Béonide. Il examina les environs et aperçut une petite créature courbée sur une canne. Le vieux bibliothécaire.
—Tíéñs, sålút, dit Guilhem sans un iota d’étonnement dans la voix.
Il avait beau se répéter que la présence du vieillard était plus qu’inattendue, il ne ressentait pas la moindre surprise.
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MessagePosté le: 26 Mai 4:44    Sujet du message: Répondre en citant

Le vieillard, qui auparavant avait pour Guilhem une aversion profonde en vertu du traitement qu’il réservait aux livres – ce dernier gribouillait et bavait dedans, quand il ne déchirait pas les pages lors d’une de ses soudaines crises d’agressivité – se sentit rassuré par sa présence, fit du feu et prépara un repas frugal. Alors que la soupe cuisait, le vieil érudit fit asseoir par terre son invité.
— Le monde se déserte, jeune Béonide, dit-il. L’affrontement perpétuel entre les races – les races, une autre invention de l’esprit – provoque des massacres, des famines, de grandes vagues de migration. La Guilde a subi le courroux des puissances. Alors que les alchimistes quittaient peu à peu les laboratoires, un seigneur démon, qui menait bataille dans les environs, a fait de ces murs son quartier général : les derniers scientifiques, ne bénéficiant plus de la protection de Maître Tagazok et effrayés par les nouveaux arrivants, quittèrent la place. Le seigneur démon remporta plusieurs victoires et accumula un généreux butin ; pour se venger, les Centaures prirent d’assaut la guilde et menèrent un combat acharné qui réduit en cendres deux des ailes de l’établissement. Maître Tagazok, revenu dans l’espoir de redonner vie à son vieux rêve de chercheur, constata le désastre et partit ouvrir, avec quelques disciples, le Manoir, en ville. Moi, je suis resté. Ma vie est ici.
J’äí ëgalêméñt èû de bòñs mómêñts ìçì, répliqua Guilhem.
— Tu souhaites rester longtemps ?
Le visage plissé du vieillard souriait. Quelle bizarrerie.
ñ’åî þäs d’åútrè êñdròît óü áller, dit le Béonide après quelques instants de réflexion. Sèúlèmèñt úñé dîrêctíøñ. Pèüt-etrè qüe lës lîvres þòúrròñt m’èñsèîgñer ûñ çhemíñ…
Le bibliothécaire acquiesça.
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MessagePosté le: 10 Juin 21:23    Sujet du message: Répondre en citant

***

Guilhem était à l'ancienne bibliothèque de la Guilde d'Alchimie depuis des mois quand il tomba par hasard sur une étude cartographique complète des terres iksémiennes. Curieux, il la déroula entièrement sur une table. Le parchemin, étendu, faisait trois coudées de long. L'alchimiste reconnut, à l'Ouest, la Montagne, et plus loin encore, les rives d'un grand océan. Sur le versant Nord des collines béonides, il vit représentée la grande Forêt des Centaures, et à l'Est les pays humains et démons.

Il connaissait assez bien tous ces paysages, les ayant survolés avec Poppu et Geidah, visités lors de campagnes militaires ou d'échanges culturels et diplomatiques. Son endroit préféré était les fjords qui descendaient, au sud, vers une mer bleue et chaude à laquelle on n'avait pas encore donné de nom...

Guilhem déplia un dernier pan de parchemin pour mieux voir cette étendue d'eau qui ne semblait pas avoir de fin.

Étrange!

Un morceau de terre avait été peint, tout en bas de la carte.
"grande Île d'Azim", lut le Béonide. Le continent s'étendait en plein sud-ouest. Alors que Guilhem essayait de lire le nom des villes qui peuplait cette terre inconnue, le vieillard de la bibliothèque passa.
— C'est à Azim qu'on trouve les mandragores rouges, fit-il. Un bateau arrive de là chaque saison et en rapporte. Elles nous permettent de concocter des potions de clairvoyance émotionnelle.
— À quoi servent ces potions? demanda Guilhem, intéressé.
— À ressentir ce que tous les êtres vivants ressentent dans un rayon de quinze coudées à une demi-lieue, tout dépendant du talent du chimiste.

Voilà ce dont il avait besoin. Pendant des années, même après son arrivée à la Montagne, Guilhem avait été un être amoral et égoïste parce qu'il ne comprenait rien de l'amour, de la jalousie et de la nostalgie des autres. S'il arrivait à saisir au vol les sentiments qui passaient, Guilhem pourrait peut-être revenir chez lui la tête haute et ne plus craindre de sous-estimer la colère des siens, ou de blesser leur amour-propre par des remarques inconsciemment désobligeantes...

— Il ne vous reste plus de ce précieux ingrédient, sage libraire? demanda l'alchimiste.
L'autre fit signe que non.
— La voie de communication entre la Guilde et le port du Bas Sheo Go Rad est brisée depuis la dernière déconfiture des Hommes. La dernière cargaison doit s'être dispersée en pays humain. Tu ne risques pas non plus d'en trouver au Nouveau Manoir des Alchimistes.

Guilhem conclut que la seule façon de se procurer cet ingrédient était de se rendre directement à Port Sheo Go Rad, de l'autre côté du Fleuve Khanginjuak.
— Mon ami, je pars immédiatement pour le sud.

Le vieux, ébahi par l'humeur soudainement enflammée de son invité, devina tout de suite la raison de cette décision spontanée.
— Mais va, jeune Guilhem. Va!
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MessagePosté le: 24 Juin 4:14    Sujet du message: Répondre en citant

L’alchimiste, pour une deuxième fois, remplit sa besace de livres et d’ingrédients. Il n’oublia pas la cuiller de cristal qu’il avait héritée de sa mère et empaqueta à nouveau sa statuette de lave durcie. Voyant que le soleil faisait déjà jaunir l’aube, il emprunta la même fenêtre qu’il avait traversée le premier jour, sauta dans les fougères et se dirigea vers le sud-ouest, au trot. Guilhem avait passé le printemps entier à l’ancienne Guilde et la chaleur humide de l’été lui entrant par les narines comme la vapeur forte d’une mixture de violence l’étourdissait. L’air de la côte ne serait pas aussi frais et pur que dans les montagnes, mais il serait beaucoup plus agréable que celui des plaines occidentales d’Iksème, qui restaient par endroit boueuses même en pleine sécheresse.

Quelques jours passèrent, et Guilhem arriva enfin en vue du fleuve. Le décor prit alors une teinte plus dorée ; des prairies sur lesquelles poussaient quelques grands arbres isolés avaient remplacé les steppes. Au loin, les accidents de terrain étaient plus prononcés ; les Humains aussi avaient leurs collines, quoique moins impressionnantes. Le Béonide grimpa dans un séquoia, s’assit sur une branche et regarda l’horizon.

Vers le sud, un grand delta se dessinait, sinueux comme une robe de vestale dans la brise, striée d’édifices gracieux et blancs comme l’albâtre. Port Sheo go Rad. Dite la Cosmopolite, Køsmøjõlx en Béonide ancien. La ville était le point de jonction des civilisations : à quelques lieues seulement des Montagnes, sur la frontière des territoires contrôlés par les Humains et finalement battue par les flots, la porte vers un royaume sous-marin de coraux et de trésors enfouis. Sur une pointe du delta, les quais se succédaient à l’infini et accueillaient jour et nuit des navires provenant d’au-delà des mers. Les routes quittant Port Sheo Go Rad étaient les multiples rayons de l’astre brillant qu’était cette cité au zénith de sa puissance et de sa richesse.

« Esthétique », pensa Guilhem en descendant de son perchoir, à peine ému.
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MessagePosté le: 25 Juin 18:07    Sujet du message: Répondre en citant

Les soldats gardant le rempart de la ville demandèrent à l’alchimiste de faire halte. Port Sheo Go Rad était resté longtemps sous domination humaine, avait connu une période d’anarchie et avait retrouvé son autodétermination après qu’une offensive béonide (Guilhem en avait fait partie) contre la fédération des Humains avait obligé la retraite de l’armée du Duc de Clarence de l’autre côté du Khanginjuak. La horde béonide, cette fois-là sous la conduite du héroïque mais non moins têtu Nimbus, s’était contentée de piller poliment la ville, abattre ses murs et repartir avec quelques femmes – Ariès les avait converties. Depuis, on avait gardé ouvert un comptoir et les rares Béonides qui s’adonnaient au métier de marchand s’y rendaient, articles chargés sur le dos.

Les gardes aux armures étincelantes pointèrent leurs lances vers Guilhem. Celui-ci, stoïque, avança jusqu’à ce que son torse vienne toucher les pointes des armes.
— Je suis alchimiste, dit-il. Je viens acheter un ingrédient. Je réclame le droit d’entrer dans l’enceinte, au nom du savoir universel.
Les soldats se méfiaient plus qu’à l’ordinaire.
— Démon? Demandèrent-ils avec hostilité.
— Béonide, répondit Guilhem en empoignant une lance et en l’écartant.
Les guerriers reculèrent devant l’impudence du geste. Ils auraient pu tenter de le retenir plus longtemps, mais le jeune hybride, cheveux et sourcils en broussailles, n’avait pas envie de s’arrêter. Ils cessèrent de lui barrer la route. L’un d’eux, dépité, cracha sur son chemin. L’alchimiste, perdu dans ses pensées, ne répliqua pas à l’affront et poursuivit sa route.

L’intérieur de la ville sentait la marée, le poisson, le girofle et les peaux tannées. Des gens de toutes les couleurs et de toutes les tailles déambulaient dans les rues, se côtoyant plus courtoisement encore qu’à Dormlag, car à Port Sheo Go Rad ils étaient voisins permanents et non de passage seulement. Ce jour-là il y avait foule : c’était la foire, ou quelque chose comme ça. Guilhem s’écarta pour faire place à un immense Centaure vêtu d’une grande robe de soie, qui lui couvrait le corps de la crinière aux fers. Au centre d’un attroupement de curieux, trois saltimbanques aux fronts hérissés de cornes accomplissaient des acrobaties et avalaient du feu, provoquant des houles d’admiration chez les spectateurs. Guilhem, qui n’était pas très grand, s’étira le cou pour surmonter le rassemblement; il cherchait une boutique de chimie élémentaire. Il n’avait pas l’habitude de travailler avec autre chose que ce qui lui tombait ordinairement sous la main dans la nature, et ne fréquentait pas régulièrement ce genre d’endroit. Aussi, la présence d’un confrère habitué à faire les courses lui manqua.
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Guilhem
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MessagePosté le: 01 Juil 3:34    Sujet du message: Répondre en citant

Güílhèm, c'êst tøî?
Le Béonide se tourna pour voir qui l’apostrophait. Derrière un comptoir, deux montagnards le regardaient, surpris. Leur étalage exhibait des boucliers, des heaumes et des épées présentés dans un ordre plus ou moins anarchique; les armes blanches en bouquets, les boucliers en escadrilles et les casques en pyramides. L’ensemble des pièces, faits d’alliages étranges et enjolivés de motifs autant telluriques qu’aériens, étaient typiques de la métallurgie béonide, et communs à l’art de N’Rike. C’est ce dernier qui avait reconnu, dans la foule, un de ses anciens compatriotes. Son compère, un brave, jetait des coups d’œil sanglants autour de lui, presque tous dirigés sur des mi-chevaux à la démarche hautaine. C’était Hagmann. Guilhem s’approcha d’eux.
— Salutations, camarades. Votre présence est opportune, dit-il. Quelles nouvelles de la Montagne apportez-vous?
Les armuriers haussèrent les épaules.
— Bôf, répondit Hagmann. Nôüs ávõñs pris ûne förtêrëssê, éllé est rëtömbeê, ñõûs ãvöns fàìt qúèlqûés bàrbéüks... Mäîs maîntenant, ñous në þôuvòñs þlús vraìmeñt rëgãrdêr ñõtrè nõûrrîtûré dê là mème fåcôn.
Nöús sõmmés ållíès âùx Cêntàurês, compléta N’Rike en frottant un glaive du revers de sa manche.
Les oreilles de Guilhem se dressèrent sur sa tête.
— Est-ce de l’humour? demanda-t-il.
Il n’y eut pas de réponse. Hagmann tapota l’épaule de Guilhem et lui donna une bourse.
Noüs l’àvòñs gâgnê hònñètémëñt, en þlús, dit-il en soupesant le sac de cuir. Ne l’àbãndonñé pas, cèttë foîs-cï : ävoìr dé l’árgeñt est tøüjòürs utïlé. Et púïs, òn áchete pàs tòut àvëc dës pôtioñs.

Du coup, l’alchimiste comprit pourquoi ses amis vendaient des armes. Elles n’étaient plus utiles. La vie commune entre ennemis séculaires, Centaures et Béonides, suffirait-elle à tranquilliser les dangereux guerriers des Montagnes, à en faire un peuple pittoresque et vassalisé aux intérêts du puissant Empire des Hippohommes, une nation contrôlée en coulisses par deux ou trois puissants magiciens éleveurs d’esclaves canins? Guilhem, désenchanté, prit l’argent que Haggman lui tendait avec amitié. N’Rike tapota alors lui aussi l’épaule de l’exilé.
— Cétte èpeé est fäitê d’ùn allíãge d’ôbsîdíenné ët dë bãùxíte çháûffèé ét þùrìfièe, expliqua le forgeron en présentant ensuite un objet oblong. såîs qúé þrêfêrês battre â maïns nùës, mâïs j’âí péñsè qüe çétté êþëè îrãît bíeñ ävèc çúïllér de çrìstäl.
Fut révélée une épée longue de deux coudées, à lame étroite et à silhouette classique. Maniable, équilibrée, polyvalente et légère, elle était le genre d’arme de prédilection de Guilhem. L’alchimiste se saisit de la lame pour mieux l’observer : il y vit N’Rike, puis la boutique, puis la rue. L'arme était transparente. « Voilà qui n’est pas commun » pensa Guilhem. Il remercia ses amis et leur demanda de lui indiquer la boutique de chimie la plus proche. Hagmann, qui était lui aussi alchimiste, pointa son doigt en direction de la ville haute.

Bien sûr. Le quartier de la magie.
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Guilhem
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MessagePosté le: 01 Juil 20:01    Sujet du message: Répondre en citant

À cet endroit, tout était plus calme. Les seuls passants étaient quelques mages fortunés qui déambulaient dans les rues, sceptre contre épaule. Guilhem évita ces robes de soie et parvint devant un riche établissement. Il traversa une fontaine (au lieu de la contourner) qui décorait la façade et pénétra dans l’échoppe.

Étrange. Les étagères étaient vides.

Guilhem trouva le boutiquier dans le fond de la pièce, l’air sombre, mal rasé.
—Vous avez de la mandragore rouge? demanda-t-il, inquiet.
—Quoi, vous vous fichez de moi, répondit l’autre. Voilà six mois que nous n’avons pas eu de ravitaillement. Si le convoi des fjords d’Alandir-Del n’a pas pu passer, ça va de soi que nul navire ne peut se rendre à Azim.
— Vous savez à quel endroit je pourrais trouver de la mandragore rouge, dans cette ville?
— Nulle part. Cette plante ne se conserve que soixante-dix jours avant de perdre ses propriétés. Et elle ne peut se cultiver qu’au sud, là où le temps le permet.

Espoir déçu.

Guilhem ne pouvait pas retourner à la Montagne sans la potion de clairvoyance émotionnelle. Ce serait se condamner lui-même à de nouvelles gaffes et à de nouveaux exils. Certes, on l’accueillerait, on l’inviterait aux barbeuks, on lui demanderait des potions en échange de gigots de loups… Mais on ne pourrait jamais oublier ce qu’il est, un être sans âme, sans sentiments, une coquille vide. Qui ne comprend rien à la passion. Un pantin. Une tête pleine de paille.
— Undumë, je ne peux plus l’accepter!

L’alchimiste sursauta. Deux hommes avaient surgi dans la boutique en beuglant. Au fil de leur engueulade, il comprit que le premier homme était le propriétaire de l’établissement et l’autre son fournisseur. Ensemble, ils avaient apparemment tenté de traverser la mer jusqu’à Azim, mais avaient dû rebrousser chemin, poursuivis par une horde de pirates. Jugeant l’affaire de peu d’intérêt, Guilhem s’apprêta à partir; mais sa besace se mit à bouger toute seule, l’obligeant à stopper et à se cacher derrière une étagère. Il sortit du sac la petite statuette qui remuait sans cesse.
— Tu seras leur protecteur, insista-t-elle.
— Ridicule, répondit Guilhem, tout bas. Je ne suis pas un guerrier assez puissant pour assurer la sécurité d’un convoi commercial.
Mais la statuette ne bougeait déjà plus. L’alchimiste, qui s’était toujours montré attentif aux signes, sortit de sa cachette.
— Tentez le coup à nouveau, proposa-t-il aux deux marchands grognons.
Un sourire narquois apparut sur les deux visages. Rapidement, il en sortit des flots de rire qui descendaient comme la crue. Le boutiquier, dans un coin, s’esclaffa aussi.
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MessagePosté le: 02 Juil 20:07    Sujet du message: Répondre en citant

***

Le vent était bon et on avait mis à l’eau une nef à grosse cale, différente des galères et des knorrs qui remplissaient les fleuves et les baies d’Iksème. Elle était lente, lourde, avait un fort tirant, mais un seul aller-retour suffirait à approvisionner la ville en épices, ingrédients et drogues pour le mois, garantissant la fortune des fournisseurs (et, par extension, de Tagazok). L’expédition était composée d’une quarantaine de marins miséreux ou exagérément braves, d’hommes désespérés qui voulaient prouver leur valeur et finalement de quelques petits brigands souhaitant refaire leur vie sur un autre continent.

Guilhem avait réussi à convaincre les marchands-chimistes d’organiser cette aventure stupidement risquée en engageant, en garantie, des livres précieux de sa propre collection; par ailleurs, chacun des marins avait dépensé ses derniers deniers afin de pouvoir payer aux entrepreneurs en tout la moitié de la valeur du navire fourni par ces derniers – c’était, d’après les marchands, ce qu’on appelait des risques partagés, bien qu’ils n’eurent à perdre qu’une vieille embarcation n’ayant pas pris la mer une seule fois au cours de la dernière décennie.

Ainsi on prit le large, l’équipage grimpant dans les mats, le capitaine criant des ordres et Guilhem attrapant le mal de mer. Sur les quais, dans le brouillard, un vieillard assis dans des cordages désertés, en voyant le navire partir dans la désillusion indifférente, déclara : « Encore des gars qui veulent se battre contre la foudre. »

Plus on avançait, plus l’air se déchargeait de sa brume. Guilhem, le pas un peu plus sûr, regarda en direction de la poupe. La côte avait disparu sous un gris halo. Il alla rencontrer le capitaine, un jeune homme parfaitement inexpérimenté. Celui-ci fronça les sourcils en le voyant.
—Je préfère vous avertir, saleté de Béonide : ici, ce sont point des oreilles de cette forme-là qui nous porteront bonheur. Les flibustiers vont se montrer, ça c’est une chose certaine. Et c’est assez. Ne nous amenez pas la pluie en plus.
—Qui sont ces pirates et quand se montreront-ils? demanda Guilhem en faisant fi de la remarque déplaisante au sujet de sa physionomie.
—Des gens qui sont partis, qu’on croit morts, des brigands provenant des Quatorze Océans, et le résultat d’expériences contre-nature, d’hybridations qui auront mené à la perversion des races…
Le jeune capitaine regarda Guilhem de long en large et jugea que cet être déformé était lui-même une perversion. Aussi, il se remit au travail.

Vers le milieu de l’après-midi, l’inévitable survint et une voile apparut à l’horizon. La vigie hurla pour en avertir le capitaine qui, anxieux, pointa une longue-vue vers l’Ouest. Guilhem choisit une bouteille remplie d’un liquide translucide et visa le même objet qui tanguait au loin. À travers le fluide (une gélatine qui avait le même pouvoir que la lentille d’un puissant télescope), le navire semblait très petit et rapide, mais surtout couvert d’hommes brandissant des armes pour la plupart proscrites. Marteaux d’Odin (le même genre d’armes qu’Ecco, ce qui avait des conséquences plus graves en pleine mer), cisailles, cimeterres empoisonnés, lames déchiqueteuses, tronçonneuses magiques, arbalètes à répétition… Et sur la proue de leur embarcation, des gueules de lions sculptées dans le bronze et prêtes à cracher du feu grégeois, et sur les flancs, des balistes…

Guilhem comprit, en apercevant le spectacle, la raison de la peur des navigateurs. Les créatures qui lui feraient bientôt face étaient la brutalité pure.
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MessagePosté le: 10 Juil 18:25    Sujet du message: Répondre en citant

— Dans combien de temps seront-ils sur nous? demanda Guilhem au capitaine, impassible.
L’autre tremblait comme un navire qui prend le fond. C’est avec peine qu’il maintenait sa lunette contre son œil.
— Nous serons à portée de baliste dans à peu près un quart de bougie de navigation, dit-il faiblement. Nous devons changer de cap.
Complètement futile. Le temps de faire demi-tour, les brigands des mers seraient déjà là et le bateau en flammes. L’alchimiste tira l’officier marin par la tunique au moment où celui-ci allait donner l’ordre à son équipage de virer.
— C’est inutile, dit-il. Eux savent naviguer contre le vent, pas vous.
Le jeune marin regarda le Béonide, muet et l’air de dire : « Tu as peut-être mieux à suggérer? »
— En fonçant sur eux, nous aurons le vent dans le dos. Éperonnons-les, continua Guilhem, dont le calme contrastait de plus en plus avec la panique générale qui s’installait parmi les occupants du voilier.
Le capitaine, blanc comme l’écume, ne broncha pas. Guilhem dut le remuer brutalement pour qu’il réagisse. Enfin, il grogna :
— Ouais. À quoi bon fuir, nous allons mourir, de toute façon.
Bizarre mentalité, se dit Guilhem. Tous connaissaient les risques au moment de signer le contrat. Ils n’avaient pas peur, sur le rivage, ces lâches?

Il n’y avait apparemment aucune aide supplémentaire à espérer du chef d’équipage, qui, à demi couché sur le pont, gisait comme une méduse gémissante. L’alchimiste, sans réfléchir davantage, cria aux hommes de pont :
— Vous tous! Le capitaine a un malaise! Il vous donne l’ordre de foncer sur le navire ennemi!
Les hommes s’arrêtèrent un instant, essoufflés. Ils ne le croyaient pas. Il était petit, difforme. Un démon des montagnes, un esprit malin qui voulait leur perte. Guilhem, s’apercevant de son manque de crédibilité, envoya discrètement son pied dans les côtes du capitaine.
— Faites ce qu’il dit, dit ce dernier d’une voix étouffée.

Comme un banc de poisson, l’équipage s’exécuta dans le plus parfait synchronisme. Bientôt, la nef pencha vers l’avant en craquant d’une manière inquiétante : les voiles toutes déployées, l’embarcation filait à une vitesse folle vers les flibustiers. Les faces de ceux-ci, restées dans leur expression de transe sanguinaire durant toute la manœuvre, avaient soudainement changé de couleur. C’était à leur tour de paniquer.
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MessagePosté le: 10 Juil 20:59    Sujet du message: Répondre en citant

L’équipage de la nef, voyant le désarroi de leurs assaillants, se suspendirent aux cordages en brandissant espadons, sabres et cimeterres. Un genre d’euphorie guerrière s’était emparé d’eux : ils étaient moins nombreux, moins bien armés, mais leur bateau était puissant, il fendait les flots comme une épée fend l’air, les voiles claquaient violemment, le vent soulevait leurs cheveux longs. Guilhem ne partageait pas leur impression de voler, occupé à essayer de verser quelques gouttes de potion de courage dans la bouche du capitaine sans en mettre partout autour. Une fois l’action accomplie, le patient se releva, pas trop sûr de lui, dégaina son arme et tituba vers la rambarde.
— Ce voyage commercial était condamné à l’échec, dit-il en se retournant vers l’alchimiste. Tu nous as sacrifiés… Pour une raison que je ne connais même pas…
Puis il sortit à nouveau sa longue vue et observa l’horizon, comme s’il n’avait rien eu de mieux à faire.
— Sale demi-démon, souffla-t-il plus bas.

Guilhem ne répondit pas à l’accusation (il ne savait plus trop pourquoi il faisait ce voyage, lui non plus) et mit au clair son épée de cristal. Le navire ennemi se rapprochait de plus en plus. Les flibustiers manoeuvraient dangereusement afin d’éviter le contact. Leur embarcation légère était penchée à presque quatre-vingt-dix degrés sur le côté. Parfait, pensa Guilhem. À cet angle, ils ne pourraient jamais être en mesure d’user de leurs balistes, ni de leur très meurtrier tuyau à feu grégeois.

**ATTENTION : SCÈNE D’ULTRAVIOLENCE, LECTEURS AVERTIS.**

Les deux navires furent à portée de tir un instant plus tard. Quelques pirates, debout sur la rambarde et dont l’équilibre était plus que douteux, avaient chargé leurs arbalètes à répétition et visaient. Les marins n’avaient pas de boucliers. Certains se cachèrent derrière les mats ou sous le parapet à merlons figurant à la proue : mais la plupart n’eurent pas le temps réagir. Les cordes des arbalètes se tendirent et se relâchèrent dans une cadence infernale. Les projectiles fusèrent partout. Un des hommes de la nef reçut un carreau dans l’œil : la sphère oculaire éclata et le liquide qu’elle contenait se déversa en larmes noires sur la joue de la victime, qui, agitée par un spasme, tomba sur le dos, raide morte. Un autre, traversé par quatre dards, fut projeté contre un mat et y resta, empalé, ses pieds ensanglantés touchant à peine au pont. Un troisième se prit un carreau en pleine gueule; le missile lui sortit au-dessus de la nuque, réduisant en poudre une de ses vertèbres cervicales. Le dernier geste du matelot fut de cracher un reflux de sang mêlé de particules d’os.

Le marin de la vigie, arc en mains, réagit de son mieux et atteint, malgré le fort tangage, un des tireurs à la jambe. Celui-ci tomba à la mer au moment où la nef allait toucher navire ennemi. Le colosse de bois et de toile entraîna l’arbalétrier dans son sillon, et ce dernier dut avoir le crâne fracassé durant son voyage vers la poupe, car après son passage, on ne voyait de lui que le corps ainsi que le cerveau, retenu aux autres restes par un cordon qui était fort probablement le nerf optique. L’autre arbalétrier, se sentant menacé par l’archer et par la structure du navire qui approchait, se replia.

C’est à ce moment que la nef heurta l’arrière du knorr des pirates (pour l’évitement, c’était raté, mais de près). Guilhem trébucha dans les cordages. Les deux navires s’enfoncèrent l’un dans l’autre en craquant. Des éclats de bois volèrent. Les structures plièrent. L’archer tomba de sa vigie et vint s’écraser contre le pont. Une planche, qui s’était relevée brutalement sous la force de l’impact, lui défonça toutes les côtes. Une fois le choc passé, autant de marins que de pirates finissaient de crever dans leur sang, étendus un peu partout et parfois en plusieurs morceaux. Les flibustiers, rageant et ravivés par l’odeur de la mort, sautèrent dans la nef. Elle était moins abîmée et s’ils voulaient survivre, ils devaient obligatoirement la prendre. Un combat inégal s’engagea alors : plus inexpérimentés dans l’art de la guerre encore que dans la navigation, les marins tombèrent un à un, déchiquetés par les tronçonneuses magiques à manivelle, propulsés par-dessus bord par les impacts violents des marteaux d’Odin, découpés en rondelles par les énormes cisailles, bavant follement après avoir été touchés par des lames empoisonnées.

En avant, Guilhem se battait sans certitude et dans la plus totale absence de sentiments. Un énorme malfrat, torse nu et sans bottes, lui fit face après que l’alchimiste eut mouillé son épée dans le liquide gastrique d’un autre ennemi. Le pirate était effrayant à voir. Crâne rasé, bras musculeux, il n’avait pas besoin d’armure tant ses organes devaient être profondément enfouis sous la surface de son poitrail massif. Son nouvel adversaire sortit de sa besace une fiole dans laquelle s’activait un fluide étrangement sulfureux, la fit éclater sur le sol et le verre, autant que l’acide, couvrit l’immense homme de brûlures. Les paupières grosses comme des truites et le corps fumant, il s’enfuit en pleurant.
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MessagePosté le: 14 Juil 2:52    Sujet du message: Répondre en citant

Guilhem, qui n’était pas le plus grand guerrier du monde, chercha des yeux un allié sur lequel s’appuyer : peine perdue, la confusion était trop grande. Impossible de réorganiser la défense. Plus par chance que par habileté, il trancha un bras ou deux avant de monter dans le mat en s’appuyant sur une moitié de cadavre qui avait trouvé le moyen de continuer de se mouvoir sans l’aide d’un tronc et d’une tête. Au-dessus de la mêlée, le Béonide chercha à nouveau : il vit le capitaine se défendre seul contre deux horribles nabots affublés de cuirasses sales, il vit des membres voler partout, écrabouillés par les imitations d’Ecco, il vit des membres d’équipage se faire dévorer cru par de grossières imitations d’ogres des Îles… Puis finalement, dans le knorr ennemi, le chef des pirates, un petit maigre qui chiquait du tabac et qui portait un heaume à cornes. Si Guilhem parvenait à le terrasser… Il n’avait pas l’air très dangereux. Deux gardes seulement le protégeaient : trop sûr de lui, le bonhomme. Fouillant dans ses affaires, l’alchimiste choisit d’utiliser une de ses dernières fioles, un alcool puissant servant à désinfecter.

Ça ferait l’affaire.

Il s’élança dans la foule, ouvrant le chemin à l’aide de son arme. Il bondit dans le navire des flibustiers, enflamma sa fiole et la jeta sur les gardes du corps du capitaine – ils esquivèrent en riant, les imbéciles, laissant le champ libre à Guilhem – puis, prenant un élan, il traversa les flammes afin d’atteindre le mécréant. Ce dernier, avec la plus grande facilité du monde, attrapa d’une main l’épée de cristal de l’alchimiste. Elle stoppa brusquement en plein vol et Guilhem, ne pouvant plus s’arrêter, reçut le pommeau de sa propre arme au visage. Aïe. Il en avait eu des blessures, avait brûlé jusqu’aux os après les assauts de cruels mages centaures ou démons, avait eu la gorge tranché e quelques fois et avait même déjà tenu ses tripes dans ses mains après s’être frotté à Héraïtos-le-puissant : mais jamais il n’avait subi une douleur d’une si grande violence. Tombé sur le fessier, crachant quelques dents et beaucoup de sang, Guilhem glissa sur le pont jusqu’à toucher l’Océan (rappelons-nous que le knorr s’enfonçait doucement depuis le début de la bataille). Le capitaine, d’apparence soudainement plus imposante, s’approcha doucement, le chaos des derniers affrontements se brouillant derrière lui. Il tenait toujours l’épée de cristal de Guilhem dans sa main droite; un peu de sang, juste un peu, coulait le long de la lame. Le salopard n’avait presque rien senti en stoppant Guilhem au milieu de sa course. Quelle humiliation. Étourdi, l’alchimiste essaya péniblement de se relever. Sa mâchoire était enflée du cou au nez. Il ne sentait plus sa langue. Avait-elle été éradiquée lors de l’embrassement de sa bouche contre son épée?

Le chef des guerriers, menaçant, avançait à contre-jour : quand il fut assez rapproché de Guilhem, la cime de son casque cacha le soleil et son visage apparut, brusquement dévoilé. Le Béonide défait reçut la vérité des traits du capitaine comme une décharge électrique. La stupéfaction. Une émotion douloureusement découverte.
— Éééééaaaan, parvint à peine à articuler Guilhem, dont le corps entier devenait peu à peu une éponge de sang abreuvée par sa blessure buccale…

« Des gens qui sont partis, qu’on croit morts », avait dit le chef de l’expédition marchande.

En effet, c’était le cas.
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MessagePosté le: 18 Juil 2:36    Sujet du message: Répondre en citant

Le capitaine souleva Guilhem par la tunique à l’aide de sa main gauche. Derrière lui, les combats s’étaient calmés et les pirates ramassaient leurs morts.
— Cela m’attriste presque de voir que tu as eu la stupidité de venir, dit l’imposant personnage.

Comment avait-il su?

— Quoi? Tu n’as pas encore deviné? C’était pourtant un sortilège si simple à lancer…
Il laissa tomber Guilhem dans l’eau salée. Celui-ci grimpa, haletant, à nouveau à bord du knorr. Pendant ce temps, le guerrier avait sorti de la besace de l’alchimiste la petite statuette qu’il avait portée sur lui durant tout le temps de son exil.
— Une représentation de Garyth, dit le chef des pillards en désignant l’objet. Alors que Éti le quarante-deuxième t’avait fait mordre la poussière, un jour, tu l’as sculpté à coups de dents dans une branche de séquoia, entre la vie et la mort, attendant que Karasu ne te trouve et n’appelle du secours…
Il tint la statuette devant les yeux du Béonide. Celle-ci s’anima de la même manière qu’à l’habituel.
— Tu as été bien naïf de croire à cette mise en scène, dit-elle exactement en même temps que son enchanteur.
Guilhem essaya de parler, mais des gargouillements furent les seuls sons qu’il put produire. Son bourreau jeta la statuette au large.
— Tu dois te demander pourquoi je fais cela, Guilhem, dit l’être aux yeux de flammes. Mais à quoi bon? Tu vas mourir. Disons seulement que grâce à la nef que tu m’as offerte aujourd’hui, je suis plus riche; et que l’or qu’elle contenait m’aidera à accomplir contre vous ma vengeance; et que de plus, même si j’ai perdu mes meilleurs hommes contre toi et tes pitoyables matelots de comédie, Iksème sera débarrassée une fois pour toutes d’un Béonide de plus… Béonides que ma chasseresse n’a pas encore réussi à affaiblir, malgré sa grande puissance…

Iseult. C’était lui qui l’avait envoyée. La terrifiante guerrière, affreusement efficace et qui savait mener à bien des opérations au sein de l’armée humaine et démone, connaissait tout des Béonides, leurs points de ralliement, leurs routes d’approvisionnement, l’endroit où se cachaient les enfants et les vieillards en cas d’attaque; elle connaissait les grottes par cœur, savait quels promontoires étaient occupés par des vigiles… Guilhem avait compris. Il voyait. La Montagne en flammes, ses amis enchaînés, une armée innombrable (d’Humains? De Centaures? De Démons? D’autre chose?) déferlant, envahissant les collines, massacrant les enfants, charcutant les femelles et castrant les mâles pour que jamais ne se perpétue plus cette race marginale, honnie de tous. Une armée conduite par la dangereuse et impitoyable acolyte de cette… créature qui se tenait face à lui et qui avait juré la perte de tous les Béonides lors de son exclusion définitive de la communauté.

— Bulb, fit Guilhem.
Ce son guttural était le début d’une phrase du genre : « Cette conduite de ta part défie les lois de la raison. Je crois bien malheureusement que tu es devenu fou ou que tu es manipulé par une énergie malveillante. » Mais dès la première syllabe, l’agonisant s’était découragé.
— Moi aussi, ça me fait plaisir de te voir une dernière fois, Guilhem. Et comme je sais que tu es un Béonide qui a de l’honneur, je devine que tu affronteras la mort avec courage.
Le grand être planta l’épée de cristal dans un cadavre et se saisit d’une grosse hache. Sa victime le regardait, désappointée mais calme. Son ennemi était le plus fort. Il n’y avait rien à faire. La défaite était inévitable et personne ne pourrait jamais avertir se frères du danger qui les guettait.

À ce moment, le knorr vibra, se libérant de l’autre navire qui reprit sa position de flottaison normale dans un grand fracas. L’eau surmonta l’embarcation du flibustier et le capitaine du navire perdit l’équilibre, sa hache le tirant vers l’arrière. Guilhem en profita : il rampa jusqu’à son épée et sa besace détrempée. Impossible de soulever celle-ci : elle était coincée sous un objet de métal très lourd. L’alchimiste, reconnaissant la silhouette de la chose en question, se coucha dessus pour que l’Ancien ne l’aperçoive pas. L’autre, qui avait retrouvé une bonne prise sur le plancher, sourit.
— Tu vas mourir debout, au moins? Tu ne feras pas comme tous ces faiblards de la nouvelle génération …

Bien sûr, pensa Guilhem. S’appuyant sur la trappe de la cale d’où s’échappaient de grosses bulles, dans l’eau jusqu’aux genoux, l’alchimiste se leva lentement, toujours plus affaibli par l’hémorragie qui ne s’était pas arrêtée. Au moment où le pirate s’élançait, tendant tous les muscles de son corps dans l’exécution de sa besogne finale, l’alchimiste fit volte-face, brandissant l’objet sur lequel il était tombé par hasard.

Un marteau d’Odin.

L’Ancien éclata de rire.
— Tu crois pouvoir faire quelque chose contre moi avec ça?
Puis son expression changea. Il s’était souvenu que Guilhem n’était pas du genre à utiliser contre des êtres vivants des armes proscrites, même dans les situations les plus désespérées.
— Non! Ne fais pas ça, hurla-t-il.

Il était trop tard. Guilhem s’était envoyé le marteau d’Odin dans le ventre. Un fulgurant bruit de tonnerre, ainsi qu’une explosion de brume rouge paralysèrent l’ancien montagnard devenu navigateur. Des lambeaux de vêtements gris-bleus retombèrent comme des confettis, accompagnés d’une vapeur sanglante.
— Désintégré! Fit la créature, affligée de ne pas avoir pu elle-même mettre fin aux jours du Béonide.
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MessagePosté le: 31 Juil 19:36    Sujet du message: Répondre en citant

***

Quand Guilhem mit le pied à nouveau à Port Sheo Go Rad, tout semblait avoir changé : les couleurs étaient ou plus vives, ou plus tristes, les enfants en haillons plus déguenillés encore, et les grimaces plus intenses. Était-ce l’effet de toutes les expériences qu’avait menées Guilhem pendant presque une année entière sur l’Île d’Azim? S’était-il imprégné de ses différentes mixtures au point de développer une ultrasensibilité?

L’alchimiste aperçut un vieillard médusé, assis dans les cordages. « Encore vivant, à ce que je vois », pensa Guilhem. Le vieillard, qui se disait à peu près la même chose, sortit de sa torpeur et alluma sa pipe. Tranquillement. Respirant le chez-soi. Guilhem aimait cette paix. Il resta quelques minutes à observer le fumeur, qui finit par se sentir envahi; après un « Qu’est-ce que tu regardes » et un « Sacre-moi la paix, sale perversion », il quitta la place.

Le Béonide sortit de la ville, sa besace remplie à craquer de divers ingrédients exotiques. Il traversa les champs encore en floraison, repéra un bosquet d’arbres feuillus et s’y mit à l’abri. Il vida son sac de peau par terre. Il finit par tirer du tas de choses disparates un genre de carotte rouge et difforme. Triomphant, il la coupa en tranches à l’aide de sa cuiller de cristal, la broya à l’aide de deux galets trouvés sur place et versa le tout dans un récipient fait d’écorce et de feuilles de bouleau. Il mit la marmite improvisée sur un feu de brindilles, y ajouta de l’eau, quelques pétales de fleurs des champs, de la menthe sauvage prémâchée, des feuilles de rhubarbe, puis de la poudre de quartz. Comme le récipient devenait peu à peu hors d’usage, il ôta le mélange du feu et le laissa reposer. La potion était écarlate comme du sang et dégageait une odeur étrange et étourdissante. Quand Guilhem mit son visage au-dessus de ces vapeurs pour voir où en était l’expérience, sa tête tourna et il vit des mains surgir de partout pour le paralyser. Vivement, il se releva pour se libérer de leur emprise. Du coup, tout disparut.
— Une hallucination. Intéressant.
La drogue était apparemment plus forte qu’il ne l’avait escompté.

Guilhem attendit pendant une semaine, dans l’espoir que le mélange se solidifie. Les paysans et les passants l’avaient remarqué et s’étonnaient, au loin, qu’on puisse rester si longtemps sans bouger à fixer des morceaux d’écorce carbonisés. Les enfants de la ferme voisine, misérables, s’amusèrent bientôt à jeter des roches au végétal béonide qui, peu à peu, laissait les fourmis et les araignées élire domicile dans ses cheveux.

Mais au septième jour d’attente, la potion craquela. Voilà. Guilhem avait eu raison, il ne fallait à la potion de clairvoyance émotionnelle qu’être baignée dans l’atmosphère particulière des plaines d’Iksème pour être efficace. Les germes de pourriture et le pollen étant les derniers ingrédients que Guilhem n’avait pu utiliser à Azim. L’alchimiste se saisit de la galette de mandragore, la broya avec ses deux galets et la mélangea à nouveau à de l’eau. Le résultat fut un genre de boule de pâte sanguinolente qui ressemblait à un pancréas. Nerveux, Guilhem l’avala en entier.

Ce fut comme un coup de massue au visage.

Un vacarme assourdissant de peurs, de haine, de joie, un torrent d’amours et de regrets entra dans la gueule de Guilhem avec une telle violence qu’il se sentit projeté dans les nuages, explosé en mille miettes. Le Béonide n’eut pas le temps de comprendre que cette ingestion d’émotions concentrées le tuerait peut-être, lui qui n’avait jamais eu de telles sensations dans son régime : l’intensité de la réaction, après l’avoir secoué de convulsions, l’avait complètement assommé.
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MessagePosté le: 01 Aoû 18:28    Sujet du message: Répondre en citant

Guilhem se réveilla avec un mal de crâne horrible et une lame sur la gorge. Sentant le métal froid lui entailler la peau, il leva les yeux pour voir le propriétaire de l’épée. C’était un humain de taille moyenne, vêtu d’une tunique de lin mal cousue et d’un casque de cuir comme en portent les vilins conscrits. Guilhem voulut lui demander pourquoi on le tenait dans une position si inconfortable… Mais quand il effleura de son pied la botte de son adversaire, le monde autour de lui bascula. Il se crut à la place de son bourreau, prêt à froidement l’occire, ressentant tout ce qu’il ressentait, pensant tout ce qu’il pensait. Il était rempli d’une haine viscérale. Une haine laide, écumante. Et une joie d’en finir. De voir son pire ennemi sur le point de défaillir, de souffrir et de crever. Un sentiment de puissance. Et de colère surtout.
— Daigne me rafraîchir la mémoire, dit Guilhem d’une voix étouffée autant par l’effet persistant de la potion que par la lame qui lui écrasait la trachée.
Le vilin n’eut pas besoin de parler. Il ne parla pas mais une scène très claire lui vint en tête. Guilhem la reconnut. La boue grise. La bruine. Des amoncellements de cadavres béonides et centaures. Une grande bataille venait d’avoir lieu dans un village occupé par les demi-chevaux. Les pertes avaient été nombreuses des deux côtés, les Centaures s’étaient retirés mais le combat n’avait au bout du compte rien donné. Le village était en cendres. Un homme, le visage noir de suie, s’accrocha aux vêtements d’un soldat au teint ocre.
— Aidez-moi, ma famille brûle, dit-il, en larmes.
On entendait, au milieu de décombres fumants d’une hutte, les geignements d’un bébé et d’une mère. Quelques flammes avaient apparemment refusé de s’éteindre et les deux humains, coincés, cuisaient lentement. L’homme, désespéré, assistait impuissant à leur affreuse mort. Le soldat ocre ignora la complainte et poursuivit sa route. Mais l’autre insistait.
— Quelques minutes! Deux bras! Je ne peux pas soulever une poutre seul, supplia-t-il entre deux sanglots.
— Rien à foutre, répondit sèchement le soldat en poussant l’homme dans la boue.

Voilà ce qu’était la détresse. Et voilà ce qu’était l’indifférence. Un remords affligea mortellement Guilhem. Qu’est-ce qui trottait dans sa tête au moment de refuser d’aider le pauvre père? Rien. « Je suis vraiment un être médiocre », pensa Guilhem. Puis il avança doucement sa main de sa besace. Il toucha à une éprouvette vide, la pressa assez fermement pour la faire éclater et vivement, jeta les éclats au visage de l’homme. Celui-ci, peu affecté, eut toutefois un moment d’inattention : ce fut suffisant pour que Guilhem s’esquive de l’étreinte de l’épée, dégaine la sienne et la plonge avec dépit dans le ventre du vilin.

Mais au moment où il s’exécutait, il ressentit lui-même une épée lui brûler les chairs. Sa vision se troubla de larmes et de sang et il cracha en toussant un peu de fluide couleur framboise. Son meurtrier était là, devant lui, c’était celui qui avait pris sa famille et qui maintenant le tuait lui. Qu’elle était lourde la désespérance qui s’abattait sur ses épaules comme une couverture humide! Il chancela un peu avant de retrouver un équilibre approximatif. La mort le prenait. Ce n’était pas comme s’endormir. C’était comme perdre quelque chose. S’éteindre. L’obscurité. Le regret. La colère.

Ce n’est qu’une fois que l’homme rendit définitivement l’âme que Guilhem comprit qu’il était lui-même toujours vivant, et qu’il avait en fait assisté à la dernière manifestation de la puissance de la mandragore rouge. Instantanément, il vomit à côté du cadavre, complètement écoeuré.

Puis, épuisé et défait, il reprit ses affaires en tremblant et emprunta en titubant le chemin de la Montagne.
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